GUERIN | FASCISME & GRAND CAPITAL




« Le pays ne sera sauvé que provisoirement par les seules frontières armées : il ne peut l'être définitivement que par la race française, et nous sommes pleinement d'accord avec Hitler pour proclamer qu'une politique n'atteint sa forme supérieure que si elle est raciale, car c'était aussi la pensée de Colbert et de Richelieu.»

Jean Giraudoux
Pleins pouvoirs | 1939



« D'autre part, le fascisme préfère susciter la foi plutôt que s'adresser à l'intelligence. Un parti soutenu par les subsides du grand capital et dont le but secret est de défendre les privilèges des possédants n'a pas intérêt à faire appel à l'intelligence de ses recrues... »

« Le fascisme n'hésite pas à séduire les masses au moyen d'une démagogie passe-partout. Il promet la lune à chaque catégorie sociale, sans se soucier d'accumuler les contradictions dans son programme.»

« Le fascisme, de quelque nom qu'on l'appelle, risque de demeurer l'arme de réserve du capitalisme dépérissant.»

Daniel Guérin
Fascisme et grand capital
1936, complété en 1945


L'ouvrage Fascisme et Grand Capital, de Daniel Guérin, est le récit de la montée du fascisme en Europe, le fruit pourri d'une crise économique longue et destructrice, et l'expression de la décadence de l'économie capitaliste ; il n'est pas le produit du grand capital en tant que tel, mais il le devient à partir du moment où son hégémonie sur les masses - sincèrement convaincues ou réprimées et rendues muettes par la force - prend de l'amplitude.

La percée des partis politiques nationalistes en ce début de 21e siècle se différencie ainsi de leurs ancêtres : pas de milices armées agissant en toute impunité, pas de programme politique radical appelant à une révolution totale, c'est-à-dire, utopique {1}, ni d'homme providentiel capable de soulever, réveiller l'enthousiasme d'immenses foules et guider leurs instincts les plus pervers, dont guerrier et xénophobe. En France, nul ne pouvait prétendre incarner cet homme providentiel - l'on tenta sans succès de faire accéder à ce statut de demi-dieu Léon Blum, puis Pétain.



Pourtant, le pays était bien prédisposé à suivre la voie du fascisme, tant l'antisémitisme, aussi vigoureux qu'outre-Rhin, et les sentiments de xénophobie aiguë étaient manifeste dans l'opinion publique, y compris au sein de la Gauche. Que l'on explique par les effets conjoints de la persistance de la crise économique, de l'incapacité des politiques, leur corruption {2}, d'un véritable raz-de-marée de réfugiés, d'apatrides fuyant l'Italie {3}, l'Allemagne, l'Autriche, la Pologne et l'Espagne de Franco.

La question de la maîtrise et de la gestion de l'immigration {4} devint un des principaux sujets de débats politiques, et naturellement la droite se déchaîna, sans complexe aucun, suivant le chemin tracé par les ligues de l'extrême-droite, tel l'écrivain Jean Giraudoux, auteur de Pleins Pouvoirs, dont voici l'avis sur la question :

Entrent chez nous tous ceux qui ont choisi notre pays, non parce qu'il est la France, mais parce qu'il reste le seul chantier ouvert de spéculation ou d'agitation facile, et que les baguettes du sourcier y indiquent à haute teneur ces deux trésors qui si souvent voisinent : l'or et la naïveté. Je ne parle pas de ce qu'ils prennent à notre pays, mais, en tout cas, ils ne lui ajoutent rien. Ils le dénaturent par leur présence et leur action. Ils l'embellissent rarement par leur apparence personnelle. Nous les trouvons grouillants sur chacun de nos arts ou de nos industries nouvelles et anciennes, dans une génération spontanée qui rappelle celle des puces sur un chien à peine né.
Entrent chez nous, sous le couvert de toutes les révolutions, de tous les mouvements idéologiques, de toutes les persécutions, non pas seulement ces beaux exilés de 1830 ou de 1848 qui apportaient là où ils allaient, Etats-Unis, Europe Centrale, Afrique du Sud, le travail, la conscience, la dignité, la santé, mais tous les expulsés, les inadaptés, les avides, les infirmes. Sont entrés chez nous, par une infiltration dont j'ai essayé en vain de trouver le secret, des centaines de mille Askenasis, échappés des ghettos polonais ou roumains, dont ils rejettent les règles spirituelles, mais non le particularisme, entraînés depuis des siècles à travailler dans les pires conditions, qui éliminent nos compatriotes, tout en détruisant leurs usages professionnels et leurs traditions, de tous les métiers du petit artisanat : confection, chaussure, fourrure, maroquinerie, et, entassés par dizaines dans des chambres, échappent à toute investigation du recensement, du fisc et du travail.
Tous ces émigrés, habitués à vivre en marge de l'Etat et à en éluder les lois, habitués à esquiver toutes les charges de la tyrannie, n'ont aucune peine à esquiver celles de la liberté ; ils apportent là où ils passent l'à-peu-près, l'action clandestine, la concussion, la corruption, et sont des menaces constantes à l'esprit de précision, de bonne foi, de perfection qui était celui de l'artisanat français. Horde qui s'arrange pour être déchue de ses droits nationaux et braver ainsi toutes les expulsions, et que sa constitution physique, précaire et anormale, amène par milliers dans nos hôpitaux qu'elle encombre.
En ce qui concerne les migrations provoquées par lui-même, notre Etat n'a pas eu plus de prévoyance. Il n'a jamais été guidé que par des considérations matérielles. D'abord, alors qu'il pouvait choisir parmi les races les plus voisines de la nôtre, il a favorisé l'irruption et l'installation en France de races primitives ou imperméables, dont les civilisations, par leur médiocrité ou leur caractère exclusif, ne peuvent donner que des amalgames lamentables et rabaisser le standard de vie et la valeur technique de la classe ouvrière française. L'Arabe pullule à Grenelle et à Pantin.
 (...) 
Concluons. Dans l'équipe toujours remarquable des hommes d'Etat qui prétendent à la conduite de la France, le seul qui aura compris, celui auquel il conviendra de tresser plus tard des couronnes aussi belles qu'au ministre de la paix, sera le ministre de la race (...). 
Qu'importe que les frontières du pays soient intactes, si les frontières de la race se rétrécissent et si la peau de chagrin française est le Français ! (...)
Le pays ne sera sauvé que provisoirement par les seules frontières armées : il ne peut l'être définitivement que par la race française, et nous sommes pleinement d'accord avec Hitler pour proclamer qu'une politique n'atteint sa forme supérieure que si elle est raciale, car c'était aussi la pensée de Colbert et de Richelieu.




Le gouvernement du Front Populaire - socialiste - dirigé par Léon Blum - israélite -, atténua les politiques restrictives en matière d’immigration, toutefois, on continua d'expulser nombre de travailleurs étrangers illégaux sans papiers {5}. La raison est donnée par Maurice Thorez, secrétaire général du parti communiste, qui s'exclamait lors d'un meeting au Vélodrome d'hiver,le 28 septembre 1937 :
« Asile sacré aux travailleurs immigrés chassés de leur pays par le fascisme, mais répression impitoyable contre les agents étrangers de l'espionnage et du terrorisme fasciste et contre leurs complices français. Nulle xénophobie ne nous anime quand nous crions ''La France aux Français'' ».

Daniel Guérin évoquait les erreurs de la Gauche nationaliste
« qui faisait appel aux instincts grossiers des foules, à leur potentielle hystérie. […]
Cependant, la gauche, croyant ainsi disputer les ''patriotes'' au fascisme, a soudain introduit le mot nation dans son vocabulaire. […]
En France, nous vîmes successivement les néo-socialistes inscrirent la nation en tête de leur credo, tandis que nos camarades communistes s'époumonèrent à ''aimer leur pays''. Mais la plupart des patriotes, ainsi stimulés dans leur hystérie chauvine, mais toujours défiants à l'égard de la gauche, estimèrent que le fascisme était plus qualifié qu'elle pour incarner le nationalisme. Beaucoup d'entre eux, sous la houlette de Maurras, se rallieront finalement au Maréchal.»


Selon Daniel Guérin, à force d'emprunter au fascisme, les partis démocrates finissaient par lui ressembler, et s'exposaient
« au risque que les foules ne fussent davantage sensibles à la propagande fasciste qu'à sa contrefaçon »,
alors qu'ils
« croyaient se prémunir contre le fascisme en le singeant, ils envoyèrent de l'eau à son moulin.»

Comme est souvent entendu aujourd'hui, l'électorat préfère l'original plutôt que la copie, constat déjà observé par Guérin en 1935.


Ainsi, aujourd'hui, quand les politiciens de gauche manient le nationalisme de manière aussi irraisonnée, exacerbée, conjuguée sous toutes ses formes – produire et consommer français, appel à la nation, au patriotisme contre les forces du mal, deuil national, droit scindé départageant la population de souche française des étrangers, etc. -, il est à craindre que cet appel ne fasse le lit de la xénophobie, de l'intolérance : les pièges toujours à l'affût, les "attrape-nigauds" tendus comme hier par la démagogie nationale-socialiste, et, la droite modérée. Le danger est grand car selon Daniel Guérin, après la défaite militaire de 1940 :
« La France, à son tour, connaissait à son tour la honte du fascisme. Et d'un fascisme qui ne fut pas uniquement imposé de l'extérieur. Car le régime de Vichy, on l'oublie trop aujourd'hui, rallia une bonne partie de nos classes moyennes et ne fut pas seulement un sous-produit de l'occupation allemande.»

Gardons-nous de comparer deux époques aussi différentes, les causes produisent les mêmes effets, mais les partis européens de l'extrême droite activiste, néo-fasciste répondent de nos jours à d'autres problématiques sociétales, nouvelles, que celles évoquées ici brièvement. Jacques Rancière avait ces quelques mots pour :
« ... prendre la mesure de ce que signifie le développement des mouvements d’extrême droite en Europe, en se gardant de concepts douteux comme celui de populisme. L’émergence de l’extrême droite en Europe est aussi la conséquence d’un rétrécissement de l’espace politique. Elle est corrélative de la montée de la culture consensuelle qui réserve la chose commune à l’alliance entre oligarchies gouvernementales, oligarchies économiques et experts officiels. À sa manière, elle traduit le rejet de cette confiscation de la politique.C’est pourquoi l’union sacrée contre les marges honteuses, comme aux élections de 2002, est tout à fait catastrophique. On luttera contre l’extrême droite par le développement de la sphère de la discussion politique et non par l’union consensuelle derrière l’alliance des oligarques. » {6}


Extrait d'un entretien in :
Et tant pis pour les gens fatigués
2009
Espaces Temps



NOTES


{1} Ni d'ailleurs de grands penseurs, intellectuels, artistes, comme ce fut le cas notamment en Italie.

{2} Il faut souligner les nombreux scandales politico-financiers qui secouèrent la vie politique en France : l'opinion publique jugeait ainsi d'une classe politique incapable de mettre un terme à la crise, corrompue, et dont les principaux acteurs et accusés, issus de l'oligarchie, avaient cette étonnante capacité à se soustraire aux affres de la justice et réapparaître, une fois la tempête médiatique passée, sur la scène politique.

{3} Après la boucherie de la première guerre mondiale, la France en mal de prolétaires et de géniteurs, fut heureuse d'accueillir à bras ouvert les travailleurs étrangers, en favorisant leur venue, puis leur captation - concurrence oblige avec les pays européens dans le même cas, et les pays d'Amérique - grâce notamment à la loi de 1927 réduisant le nombre d'années sur le territoire nécessaires pour un étranger pour obtenir la nationalité française (de 10 à 3 ans). Les premiers réfugiés politiques italiens arrivent à partir de 1921, militants, activistes, syndicalistes, etc., de la gauche, ils constituaient la cible privilégiée des milices fascistes. Nombreux poursuivent la lutte politique en France, notamment les "révolutionnaires professionnels", et leur rôle a été déterminant pour la diffusion, le développement et l'extension géographique des idées socialistes et communistes, dans les cercles ouvriers (la CGT en 1937 comptait dans ses rangs 200.000 adhérents d'origine italienne soit la moitié de ses effectifs).

{4} En ce qui concerne l'architecture, ouvrons cette parenthèse pour évoquer le programme national de construction de camps de concentration, selon la terminologie administrative de l'époque, afin d'interner les populations étrangères jugées indésirables ou dangereuses pour la sécurité publique ; le premier est en fonctionnement en janvier 1939.

{5} Le talentueux historien Ralph Schor, spécialiste de l'immigration en France des années 1930, estime que les réactions de méfiance des français à l'encontre de l'étranger l'emportaient largement sur les attitudes de sympathie, de compassion, de miséricorde et que la persistance de la crise a fait sauter progressivement les solides barrières que l'humanisme, la solidarité de classe voire même l'internationalisme prolétarien pouvaient opposer à la haine de l'étranger. Extrait de son texte :



LE FRONT POPULAIRE
ET LES ETRANGERS


La pusillanimité de la gauche victorieuse

La nouvelle équipe gouvernementale afficha d’emblée de bonnes dispositions. Le Parti socialiste SFIO, majoritaire, créa une Commission d’étude des questions de la main-d’œuvre étrangère.

Quelques mesures significatives furent rapidement prises. Ainsi la convention de Genève du 28 octobre 1933, accordant le bénéfice du passeport Nansen aux apatrides, fut ratifiée. Le décret du 17 septembre 1936 institua un certificat de nationalité en faveur des réfugiés originaires d’Allemagne.

Des instructions furent données pour humaniser les relations entre l’administration et les étrangers, éviter les rapatriements forcés de chômeurs, réduire le nombre des expulsions, ces dernières devant être seulement prononcées pour des "manquements très graves aux réserves qui s’imposent à tout étranger recevant l’hospitalité de notre pays" (Circulaire du ministre de l’Intérieur n° 119, 27 juillet 1936).

Pourtant, même si un climat nouveau s’était instauré, force était de constater que la condition des étrangers et les dispositions de l’opinion à leur égard ne s’étaient pas profondément modifiées. Parmi les revendications les plus insistantes présentées par les associations humanitaires figurait la définition d’un statut des étrangers qui aurait comporté des dispositions libérales : facilités accrues pour l’octroi des papiers et l’accès à la nationalité française, amélioration des avantages sociaux, participation aux élections professionnelles, large extension des libertés, garantie solennelle du droit d’asile, expulsion prononcée seulement par un tribunal civil avec publication d’un jugement motivé…

Ces demandes ne furent pas entendues. Le Front populaire avait seulement réparé quelques injustices catégorielles. Mais il n’avait pas pris pour les immigrés des décisions hardies et novatrices comme pour les Français. Il négligea même de contrôler la bonne application des quelques mesures favorables qu’il avait édictées. De manière significative, Le Populaire, quotidien de la SFIO, célébrant dans son numéro spécial du 4 juin 1937 l’œuvre de Léon Blum, après un an de pouvoir, ne cita aucune des décisions prises au bénéfice des étrangers. De son côté, Maurice Thorez, secrétaire général du Parti communiste, énumérant devant ses camarades, le 11 juillet 1936, les catégories sociales pour lesquelles le parti luttait, ne songea pas à mentionner la main-d’œuvre immigrée. Plus grave encore, le gouvernement, ne rompant pas réellement avec les pratiques de ses prédécesseurs modérés, expulsa des étrangers intervenant dans les conflits politiques et sociaux. Il appliqua avec rigueur la loi du 11 août 1932 qui permettait de limiter la main-d’œuvre immigrée dans les entreprises privées. La CGT ne montra pas plus de bienveillance. Certains militants, constatant un afflux d’adhésions d’immigrés et craignant de perdre ainsi une part d’influence dans la confédération, dénoncèrent "cette intrusion des étrangers dans le mouvement syndical français" (Le Peuple, 25 juin 1936). Les nouveaux adhérents, étroitement surveillés, ne pouvaient en aucun cas constituer des sections menant une vie autonome.

Dans ces conditions, les étrangers ne cachèrent pas leur déception. Le Hongrois Paul Loffler observa dans ses souvenirs : "Pour moi personnellement, le Front populaire n’a rien changé. Ce n’était pas fait pour les étrangers, mais pour améliorer la situation des Français" (Paul Loffler, Journal de Paris d’un exilé, Rodez, 1974, p.163). Le syndicaliste Ernesto Caporali notait tristement : "Les parents pauvres que nous sommes n’ont qu’à se taire" et concluait que l’union de la gauche avait représenté pour les étrangers "la plus amère des désillusions" (Ernesto Caporali, Le Peuple, 15 avril 1938).
Les haines de l’extrême droite vaincue


Malgré la modestie des réalisations du Front populaire en faveur des immigrés, l’extrême droite interpréta la période comme une victoire du parti des étrangers et multiplia les déclarations passionnées.

Les attaques visaient d’abord Léon Blum. Celui-ci était peint comme le symbole même de l’étranger. L’écrivain à succès Maurice Bedel, lauréat du prix Goncourt, publia un pamphlet dans lequel le chef du gouvernement était représenté comme un juif, de ce fait inapte à comprendre le pays qu’il administrait : "il se sentait incommodé d’être le chef d’un peuple étranger à sa chair" (Maurice Bedel,Bengali, Paris, 1937, pp. 108 et 126). Jean-Pierre Maxence surenchérissait : "M. Léon Blum par toutes ses fibres représente l’étranger. Au sens quasi chimique, au sens physiologique du mot, il est étranger à la France" (Jean-Pierre Maxence, Histoire de dix ans, 1927-1937, paris, 1939, p. 361). Blum fut aussitôt accusé de favoriser ses coreligionnaires nés sous d’autres cieux et de diriger, comme disait l’Action Française, un "gouvernement de ghetto" (Pierre Tuc, L’Action Française, 20 juin 1937) qui donnait aux juifs tous les postes importants du pays.

Le gouvernement était jugé coupable d’ouvrir grandes les frontières non seulement aux juifs mais aux étrangers de toutes provenances dont les exigences étaient immédiatement satisfaites. Bien que le chiffre des décrets de naturalisation ne présente aucune augmentation anormale pour les années 1936 et 1937, l’extrême droite certifia avec aplomb que le gouvernement octroya très largement la nationalité française au profit des individus les moins recommandables : "M. le ministre de la Justice fabriquait des citoyens français avec de la lie italienne, de la moisissure russe et de la gadoue allemande", affirmait Maurice Bedel (Maurice Bedel, Bengali, op. cit. p. 56).

L’objectif semblait évident : le député conservateur Louis Marin assurait que "la naturalisation est devenue une industrie électorale" car tout nouveau citoyen, reconnaissant, votait pour la gauche (Journal Officiel, Débats de la Chambre, 24 mars 1938, p. 933). Peut-être même, selon les extrémistes, les révolutionnaires voulaient-ils détruire la vraie France en la rendant cosmopolite, en transformant les étrangers et les naturalisés en troupe de choc de la subversion bolchevique.

Il est incontestable que le gouvernement de 1936 manifesta peu d’intérêt pour les étrangers qui, d’ailleurs, n’étaient pas mentionnés dans le programme du Front populaire. Une telle indifférence s’expliquait par le jeu de divers facteurs. Blum ne voulait vraisemblablement pas s’aliéner l’opinion pour qui les immigrés étaient des escrocs, des régicides et surtout des concurrents sur le marché de l’emploi. Quand les Français eurent été satisfaits par les premières lois sociales, d’autres soucis absorbèrent l’attention des pouvoirs publics : les difficultés financières, les débuts de la guerre d’Espagne, la détérioration de la situation internationale, la montée des oppositions. Il ne paraissait pas urgent de satisfaire précipitamment les revendications des étrangers, question délicate, généralement impopulaire et source de dépenses nouvelles. L’année 1936 est l’une de celles où l’immigration fut le moins traitée par les journaux de toutes tendances. En cette période du Front populaire, les Français pensèrent d’abord à eux-mêmes.

Ralph Schor

historien, professeur à l'Univeristé de Nice.

http://www.histoire-immigration.fr/node/27000

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La France antisémite ?


Hannah Arendt soutenait l'idée qu'à la fin de 1933, la France
« n'avait plus de vrais dreyfusards, qu'il n'y avait personne pour croire que la démocratie et la liberté, l'égalité et la justice pouvaient être défendues ou accomplies sous la république. »

L'antisémitisme, dénoncé avec vigueur par les partis politiques et les syndicats, mais bien ancré dans l'opinion publique aussi ouvrière, qui avait cette tendance à identifier, à associer étroitement les juifs au capitalisme. Le parti communiste, en particulier, ne se montra guère complaisant avec les réfugies juifs, pour la simple raison qu'une faible minorité de la population juive allemande et de l'Est européen en exil était ouvrière, la majorité appartenait à la classe bourgeoise, soit des victimes du nazisme mais ennemis du communisme. Ils attribuaient l'arrivée au pouvoir d'Hitler, le triomphe du nazisme à des machinations capitalistes, et les grandes familles juives de la haute sphère bourgeoise – dont notamment le banquier Schroeder - constituant un bloc puissant au sein de la classe capitaliste allemande, portaient elles aussi leurs parts de responsabilité. Dans un article de L'Humanité daté de 1933, intitulé « Dans le quartier des banques où nazis et israélites ont réalisé le front commun », l'auteur assurait que « banquiers et industriels juifs ne furent-ils pas parmi les plus zélés commanditaires du mouvement national fasciste ? » D'autant plus, qu'il était impensable, alors, qu'Hitler puisse supprimer ses alliés financiers, la grande finance juive comme la grande industrie juive, comme il le fera effectivement.

La position d'Arendt est sans doute excessive, car une multitude d'organisations de la Gauche, radicale et modérée, se destinaient spécifiquement à aider les réfugiés politiques et religieux ; dont notamment le Comité Matteotti créé par les socialistes dans les années 1920 pour aider les réfugiés italiens, le Secours Rouge International des révolutionnaires communistes combattant le fascisme et venant en aide aux prisonniers politiques, le Centre de liaison pour le statut des réfugiés, la Ligue d'action universitaire républicaine et socialiste, etc. A leurs côté, une pléiade d'organisations a-politiques dont la Ligue des droits de l'homme, la Ligue International Contre l'Antisémitisme, l'Association des Amis des travailleurs Etrangers, etc.


{6} Suite :

« Par ailleurs, les fins que se proposent ceux que l’on appelle "hommes politiques", à part le fait de conserver leur propre existence, de persévérer dans leur propre être, il n’y en a pas beaucoup. Leurs fins se définissent par rapport à un certain territoire de ce qui est, qui lui-même dessine un certain territoire des possibles. On peut certes définir des programmes afin d’obtenir misérablement 0,5% de suffrages supplémentaires lors d’une élection. Mais il faut à mon sens changer radicalement cette conception des fins, tout comme celle qui en appelle à de nouvelles utopies ou à de nouveaux messianismes. Ce ne sont pas les fins historiques qui créent des dynamismes de pensée et d’action. Ce sont ces dynamismes qui créent des fins en bouleversant la carte de ce qui est donné, de ce qui est pensable et donc de ce qui est imaginable comme objectif d’une certaine stratégie. Il n’y avait pas en 1788 un horizon de fins immanentes propre à entraîner la révolution. Il y a eu d’abord la constitution d’un certain espace de la décision commune qui a créé de nouveaux possibles et de nouveaux sujets et fins. C’est la création d’une sphère de "pouvoir du peuple'' qui définit l’ouverture d’un champ du possible. De même l’émancipation sociale a d’abord été une modification des capacités et des comportements et non un horizon d’attente défini. La question préliminaire est toujours de savoir "qui peut quoi ?". On voit bien par exemple que toutes les fins actuellement sur le marché sont définies à partir de compétences déterminées, celle des experts et des gouvernants. »




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