PSYCHO-Architecture


Haus-Rucker-Co, Flyhead,  1967

Certes, la civilisation nous a laissé, avec les grandes villes,
un héritage qu’il faudra beaucoup de temps et de peine
pour éliminer. Mais il faudra les éliminer et elles le seront,
même si c’est un processus de longue durée…
Engels
Anti-Dühring
Prozac,  1987

La médecine n'a plus pour seul objectif de vous guérir mais de vous faire vivre le mieux possible le plus longtemps possible avec votre pathologie
Claude Le Pen


1968 : la remise en cause globale de la société capitaliste interroge les avant-gardes sur la question centrale du rôle de l'intellectuel -de l'architecte ici- dans une société capitaliste : utopisme ou réalisme ? Utopisme ou/et Révolution ? [lire notre article Utopie ou Réalisme?]. Certains envisagent et proclament la mort de l'architecte, d'autres annoncent, voire prônent, la mort de l'architecture. A cette question -qui sera débattue dans de nombreux colloques - et en parallèle se pose la question de la ville : de l'adage datant de l’Europe médiévale L’air de la ville rend libre, repris par Max Weber [1] à la condamnation de l'inhumanité de la ville en tant que lieu d'accumulation du capitalisme formulée par Engels [2] et Marx. Qui opposaient à la ville, l'idée d'un équilibre ville-campagne [lire notre article Marx, Engels et la ville]. Ville inhumaine, Nature rédemptrice, Utopie contre réalisme, Socialisme ou Barbarie, interrogent les avant-gardes mais toutes exigent à présent la mise en application immédiate, l'intervention directe des expériences contre la pratique du compromis, de l'inaction et du renvoi indéfini au "bon moment". Exigences qui seront à l'origine des communautés urbaines et rurales [lire notre article Hippie ! Communutés et Back-to-the-Land] ainsi que de l'implication physique et intellectuelle des architectes dans les luttes urbaines.



Ainsi autour de l'année 1968, s'opère un véritable renouvellement théorique dans les domaines de l'urbanisme et de l'architecture ; une des périodes les plus fécondes pour l'avant-garde qui est constituée d'une multitude de courants, de mouvements, de collectifs et de personnalités isolées qui imaginent la ville, ou la non-ville, de demain. 

Parmi cette prodigieuse effervescence, les théoriciens de l'architecture radicale -nébuleuse qui rassemble et oppose des groupes tels que Superstudio, Archizoom, en Italie, Archigram en Angleterre, Ant Farm aux États-Unis- pousseront à leur paroxysme, les limites de la recherche en architecture et en urbanisme, dans une approche interdisciplinaire et expérimentale. Ils se démarquent des autres mouvements par une critique de l’utopie, lui oppose des contre-utopies, des dystopies, ou utopies anormales, et autres utopies négatives. Ils comptent éroder le projet progressiste et prétendument réaliste du progrès technologique défendu par les modernistes. La science-fiction agit comme le vecteur de cette critique, en recourant aux ressorts propres à l’utopie.

Science-fiction, 1952


Ce seront des architectes -Walter Pichler, le collectif Haus-Rucker-Co et Hans Hollein- autrichiens -pays de Sigmund Freud, inventeur de la psycho-thérapie- qui élaboreront les théories les plus surprenantes dont certaines seront concrétisées par d'étranges machines architecturales, ou d'objets parfaitement inédits. Des théories à valeur de manifeste, de provocation, destinées à critiquer plus qu'à proposer. Ils seront les théoriciens de l'architecte psychotropique - le terme psychotrope [1] signifie littéralement qui agit, qui donne une direction (trope) à l'esprit ou au comportement (psycho) ; selon la définition de Jean Delay en 1957 : on appelle psychotrope, une substance chimique d'origine naturelle ou artificielle, qui a un tropisme psychologique, c'est-à-dire qui est susceptible de modifier l'activité mentale, sans préjuger du type de cette modification-, c'est à dire soumise volontairement aux effets d'une substance -ou un stupéfiant- qui agit principalement sur l'état du système nerveux central en y modifiant certains processus biochimiques et physiologiques cérébraux. En altérant de la sorte les fonctions du cerveau, un psychotrope induit des modifications de la perception, des sensations, de l'humeur, de la conscience (états modifiés de conscience) ou d'autres fonctions psychologiques et comportementales.


Simples inepties de jeunes architectes en mal de reconnaissance essayant de profiter du véritable culte des psychotropes (LSD, Marijuana, etc.) ? Sans aucun doute et ils seront catégorisés par les critiques et les architectes de la Nouvelle Gauche comme étant des petits bourgeois ne proposant rien d'autre qu'une vision morbide du monde, des théories sans conséquence, des objets sans valeur, inutiles pour ce qui était alors au centre des débats : la classe ouvrière. A une époque où les bidonvilles  existaient encore et où les luttes urbaines étaient dans de nombreux pays occidentaux nombreuses et particulièrement virulentes, notamment en Italie et aux Etats-Unis par le biais du Black Panthers Party et de Saul Alinsky. 

Nihilisme et Survie






Walter Pichler, Intensiv Box, 1967 
Collectif ARCHIGRAM : pneumatic capsule-environment 
Sanyo-Living Capsule-1970

A cette culture sine qua none de l'immédiat, de l’instantanéité, d'utopie réalisée, d'imagination au pouvoir, prend progressivement place la reconnaissance de soi et de la Différence ; et aux grands divorces politiques de la Nouvelle Gauche [communisme dissident, trotskisme, maoïsme, stalinisme, guévarisme, anarchie, libertaire, etc.] se superpose le culte de la Différence, de la persona qui donneront naissance aux nouveaux mouvements sociaux : féministe, anti-raciste, homosexualité, écologie, pacifiste, etc. En quelque sorte le Moi nihiliste s'immisce progressivement dans le Nous de la communauté ; et la recherche de l'identité, en cette période révolutionnaire, s'accompagnera de celle du plaisir individuel et du divertissement.

1970 : Sanyo electric, baignoire à ultrasons 

Une architecture Radicale où le sujet devient primordial au détriment de la communauté ; le reflet de l'évolution des mouvements contestataires après leur révolte de mai 68 ou de l'automne 69 en Italie, et après leur défaite politique. Le miroir de la montée de l'individualisme, du repli identitaire vers les communautés d'identiques puis par la suite d'un repli sur soi-même. Mais les projets développés par ces théoriciens seront tout autant des réponses impertinentes qu'une critique globale de la société et certains se réclament ouvertement de la Nouvelle Gauche Radicale.


Révolution ludique

Des théories qui reposent en partie sur les écrits de Guy Debord, de l'International Lettriste puis des Situationnistes qui avaient posé dès l'année 1954, les bases d'une révolution des loisirs [3] dans la société et plus particulièrement dans les villes : Le vrai problème révolutionnaire est celui des loisirs. Les interdits économiques et leurs corollaires moraux seront de toute façon détruits et dépassés bientôt. [...] Une seule entreprise nous paraît digne de considération : c’est la mise au point d’un divertissement intégral. [...] Il faudra réinventer en permanence l’attraction souveraine que Charles Fourier désignait dans le libre jeu des passionsGuy Debord abandonnera assez rapidement le domaine de l'urbanisme, l'ayant portant brillamment abordé avec Constant dans la définition du projet New Babylon.


Le corps

Le corps soumis depuis des générations aux interdictions judéo-chrétiennes et des régimes communistes [dont Cuba], condamné à la chasteté, privé du regard et de l'envie de l'autre où l'homosexualité était considéré en tant que déviance malsaine, sera progressivement libéré de ces entraves : la liberté sexuelle, le nudisme, et au-delà la fin d'un tabou médiatique seront les principales conquêtes de la rébellion.

A cela, les architectes accorderont une attention particulière aux prodigieuses avancées technologiques -caractéristique permanente des théoriciens de l'architecture- et notamment à celles effectuées dans le domaine spatial. Les capsules spatiales et les scaphandres des astronautes vont ainsi directement inspirer les avant-gardes. La technologie du scaphandre intéressera particulièrement les architectes : une telle structure portante et transportant la technologie dont le corps a le besoin et l'envie, un tel équipement destiné à la survie dans un milieu hostile -suggérant celui des villes- , deviendront une source d'inspiration.



Couverture de la revue Architectural Design, février 1967

Dominique Rouillard note que la combinaison de la NASA est une source également pour les couturiers [4] : et à se rapprocher autant du corps, l'architecture rencontre la mode vestimentaire et ses innovations. Ainsi la marque Frankestein Group met sur le marché des vêtements qui offrent "des agréments et un confort manquant dans un grand nombre de bâtiments" ; par exemple, un costume doté d'un liquide de conditionnement permettant de travailler à la température souhaitée. 



Cette technologisation du corps poursuit la vision mécaniste de Marshall McLuhan évoquant les "prolongements" de l'homme -et non plus, dans la terminologie corbuséenne, les "prolongements du logis". L'habitat devient un prolongment de la "surface extérieure du corps", et le logement celui des "mécanismes thermorégulateurs internes de l'organisme". Cette conception de l'habitat rapportée au seul souci du confort du corps, l'architecte H. Hollein la tient comme la définition même de l'architecture : "l'architecture est un contrôle de la chaleur humaine, une enveloppe protectrice"

Haus-Rucker-Co-, Electric Skin, 1968

Psychotropes et Stupéfiants


Les effets des substances psychotropes seront magnifiées par plusieurs auteurs dont notamment Aldous Huxley dans son livre (1954), Les Portes de la perception (The Doors of Perception). Huxley prône l'usage des drogues pour atteindre une nouvelle perception du monde, préliminaire à un sentiment de plénitude et de communion avec le cosmos. L'écrivain William S. Burroughs est considéré comme l'un des théoriciens de la pratique junkie liée à la mentalité hippie. Dans Junky (1953) il explique en quoi la drogue est une philosophie qui mène à ouvrir les portes de la perception et à découvrir l'« équation de la came ». L'esthétique psychédélique, « véritable insurrection de l'imaginaire » prend ses racines dans les visions provoquées par le LSD qui induit une déformation de la vision et entraîne un état rêveur où réalité et rêve sont confondus (hypnagogie). Outre le LSD, le cannabis était aussi massivement consommé, en particulier sous sa forme la plus répandue, la Marijuana.


L'architecture Psychotropique
Architekturpillen



La prise de substance psychotrope est très largement répandue -selon les témoignages- dans les mouvements d'avant-garde et dans les écoles d'architecture, autant pour compenser une angoisse existentielle, se divertir que pour favoriser l'imagination projectuelle.

Mais plus que cela, pour certains architectes, les effets psychotropes pouvaient permettre, dans une certaine et juste mesure, de concilier cette exigence de l'instant, d'une certaine radicalité, de la transformation de la réalité, le ludisme, et ce, dans une vision intimiste d'une recherche de plaisir personnel. Le projet emblématique Pilule Architecture [Architekturpillen] de Hans Hollein l’illustre en 1967. Hollein attribue à l’architecture l’origine de pathologies graves et il revient, ironiquement, à la modeste Pill Architecture de créer un équilibre sain entre l’environnement et l’occupant.

Hans Hollein, Architekturpillen, 1967 [Pill Architecture]

Simple pilule de couleur dans un emballage carré transparent, Hollein propose un « kit de contrôle de l’environnement non physique », et précise : « Le contrôle de l’environnement peut se faire grâce à la chimie et à la médecine : il est déjà possible avec ces moyens de contrôler la température et certaines fonctions corporelles. » [ Domus n° 481, décembre 1969].

Dominique Rouillard analyse dans un chapitre de son livre Superarchitecture les principes architecturaux et autres de Hans Hollein, de Walter Pichler et du collectif Haus-Rucker-Co :

La Pilule architecturale, contemporaine de la progressive mise sur le marché de la pilule contraceptive, qui est un objet minuscule. Elle débarrasse le monde de l'appareillage constructif monstrueux imaginé par la méga-structure. Libérant l'architecture de la structure, la pilule la libère également de l'enveloppe. Ces succédanés architecturaux, qui constituent un kit de contrôle de l'environnement non physique, sont aussi discrets que les moyens de télécommunication sont immatériels : Il n'est plus besoin de construire pour le contrôle du climat et de l'environnement en général : aujourd'hui, la nouvelle architecture est faite d'informations. La pilule ou le spray, transformés en architecture -et par ce déplacement analogues au bidet de Duchamp s'imposant dans l'art comme une déclaration aux effets irréversibles-, portent l'espoir de causer une même déstabilisation des critères établis sur ce qu'est ou n'est pas l'architecture, des notions mêmes qui définissent son éthique et ses missions. C'est une espèce de psychopharmacie capable de procurer contentement, bonheur, liberté, etc.. L'architecture de la pilule raille la mission thérapeutique de l'architecture, ses arguments d'hygiène et de confort ; elle va jusqu'à suggérer que le projet moderniste aurait pu ne pas exister si les progrès de la médecine avaient été plus rapides... Il ne sera donc plus nécessaire de dépenser tant d'argent à construire des maisons : un antidépresseur architectural suffit. La pilule architecturale procure des bienfaits psychologiques qui dépassent la fonction première de protection et le confort assuré par le bâtiment.

Hans Hollein : Architekturpillen, 1967


Alain Ehrenberg a analysé le rôle de la drogue dans l'émergence et la diffusion du sentiment de l'individualité dans la société contemporaine et dans la généralisation de la recherche de sensations. De ce point de vue, les années soixante sont perçues comme une période où se renouvelle la demande croissante de stimulation des sens qui avait marqué la seconde moitié du 19e siècle, et à laquelle avait répondu la drogue, apparaissant comme un fléau (par sa consommation populaire), quand jusque-là elle n'était qu'un mal marginal. Il est attendu de l'architecture, en tant qu'"art de l'environnement", la découverte d'un univers de sensation inédites ou inhibées. Pour que l'architecture soit encore dans l'époque, la pilule doit emporter le consommateur bien au-delà des émois provoqués par l'espace architectural.

L'architecture répond alors à cette demande d'excitation des sens qui se joue au niveau de la conscience de soi : la pilule impose une pratique essentiellement individuelle et intérieure de l'architecture. Minimale et extrême -dans ses effets comme dans la radicalité de son manifeste-, elle anéantit les espoirs des architectes du Team X tentant de rendre à l'architecture sa capacité à rassembler la cité humaine à partir de ses espaces publics. Qu'il avale une pilule ou enfile un casque transformateur d'environnement pour parcourir la ville, l'individu contemporain la vit seul, sans rencontrer l'autre, par l'intériorisation du vécu et des perceptions individuelles, en un vaste intérieur continu.

Lampes "Pillola"  : design : Cesare Casati et Emmanuelle C. Ponzio, 1968


Walter Pichler : Casque Environnemental

Mais la radicalité du manifeste provocateur de Hollein, qui signifiait l'abandon de tout projet architectural au détriment de la psycho-pharmacologie ne pouvait satisfaire l'imagination des architectes radicaux. Certains, dont l'architecte autrichien Walter Pichner, assigneront à l'architecture le rôle de retranscrire artificiellement les visions psychotropiques sur l'environnement urbain. La psycho-architecture doit être en mesure de recréer des environnements modifiés par la psychopharmacie. Selon D. Rouillard :

En 1967, Walter Pichler produit son premier prototype de ce qu'on appellera bientôt le « casque environnemental ». L'exploration d'une réduction de l'enveloppe indique que dorénavant toute l'architecture, en tant qu'action sur l'environnement, passe par la tête, qui reçoit les impulsions ; le reste du corps fait ce qu'il veut. L'œil, l'ouïe, le nez ; la perception seule compte, et devient totale simulation ; on ne regarde plus, on reçoit des images. Le monde se réduit à un ensemble de stimuli faisant l'objet d'une perception sous contrôle, maîtrisée par le casque. Le Kleiner Raum élaboré par W. Pichler, s'enfonce jusqu'aux épaules, dégageant l'articulation des bras. Le micorphone joint la bouche, les trous pratiqués dans la coque à hauteur des yeux, à la façon d'un hygiaphone, définissent la "zone de vue" ; deux perforations mènent aux conduits auditifs. des tubes en arrière assurent l'aération, et divers raccordements (Anschlusse). Le corps peut bouger à sa guise, tandis que la tête est maintenue et contrôlée. L'homme ainsi casqué semble réduit à des jambes sans tête. Le "Casque TV, séjour portable" revient à porter sur les épaules une pièce entière, le living-room, à l'extrémité duquel est placé l'écran de télévision.

W. Pichler, Kleiner Raum
W. Pichler, Kleiner Raum
W. Pichler, Kleiner Raum
W. Pichler, Casque/TV/Séjour portable

Haus-Rucker-Co

Ce seront les architectes autrichiens du groupe Haus-Rucker-Co qui porteront à la perfection la technologie du casque environnemental. Dominique Rouillard évoque leurs expériences :
Les casques audiovisuels en plastique d'Haus-Rucker-Co (1967-1969) retrouvent une transparence. Appareillé, l'œil perçoit un environnement modifié par la multiplication des filtres interposés. La visière Drizzler ("bruineur" ou "brouillasseur", qui trouble la vue directe) est ainsi équipée de filtres circulaires ; fixés en sur-épaisseur à la hauteur des yeux, ils tournent grâce à un petit moteur électrique. 

Haus-Rucker-Co : Flyhead / Viewatomizer / Drizzler

Haus-Rucker-Co

Dans le Viewatomizer, dont le but annoncé est de pulvériser la vue, les motifs produits par le système de pulsation, relié au moteur par un tube passant au-dessus de la tête, brouillent la reconnaissance d'un visage humain. Le Flyhead équipé d'un système audiovisuel (écouteurs stéréo -ancêtre du baladeur- et lunettes-coques internes, avec des motifs redoublant ceux qui sont apposés à l'extérieur du casque) permet de s'évader, comme le suggère le nom de "Tête volante". Ce casque bulle évoque le globe oculaire gigantesque d'un insecte, les dessins de taches circulaires restituant l'effet de facettes.

Haus-Rucker-Co, Flyhead

Haus-Rucker-Co, Flyhead


Le casque est photographié tantôt comme un objet de mode porté par un mannequin -qui porte une Electric Skin, robe en plastique transparent avec des motifs fluorescents-, tantôt comme un casque plus agressif pour quelqu'un qui parcourt la ville, solitaire et isolé, voire dans une attitude défensive quand le casque évoque celui du CRS ou un masque à gaz.

Les casques expriment une critique du monde, disent qu'il n'est plus visible, respirable, audible ; ils sollicitent les sens pour vivre autrement en ville. L'architecture des formes bâties n'a plus rien à voir avec cette récréation visuelle : elles est le décor existant que regardent avec détachement en 1968, les architecte du groupe Haus-Rucker-Co [L. Ortner, G. Zamp Kelp et K. Pinter]. La transformation tient du mirage, de l'affabulation passagère et individuelle. Le port du casque, expérience personnelle, s'apparente à celle de la drogue.

Haus-Rucker-Co, Flyhead

Mind-Expanding-Program


Contrepoint aux voyages interstellaires et à la conquête spatiale à la fin des années 60, le voyage intérieur relève de l'Existenzmaximum, terme explicité par le designer Alessandro Mendini [aujourd'hui revisité par Paola Antonelli, conservatrice du département Design au MoMA]. L’Existenzmaximum définit un espace immatériel permettant, à partir d’un dispositif simple, de laisser les sens et l’esprit vagabonder. L’espace de la domesticité n’est plus physique mais devient mental. Reposant sur une mise en pratique individuelle et anti-technologique, les objets qui y font référence dans l’exposition « Tomorrow Now», sont les supports d’un imaginaire qui se supplée au réel, en l’occurrence à l’environnement et aux objets. Le Mind-expander (démultiplicateur d’esprit) de Haus-Rucker-Co favorise la perception individuelle du monde intérieur. Surmonté d’un casque, ce fauteuil de plastique accueille deux personnes qui s’imbriquent l’une sur l’autre pour partager leurs pensées et démultiplier leur champ de conscience. D. Rouillard explique le principe :

Le Mind-Expanding-Program (1967-1970) explore l'idée de l'isoloir dans ses différentes formes pour transmettre une concentration de médias électroniques dont le but final est de faire vivre à l'usager des expériences dans l'espace de la conscience ; une expérience psychédélique intime qui, grâce à l'utilisation de projections d'images et de sons, transportent l'utilisateur dans un état second. Débordant la référence initiale au domaine spatial, W. Pichler, Coop Himmelblau et Haus-Rucker-Co élargissent leurs recherches en considérant les potentialités sensitives inexploitées du sujet et sa capacité à agir sur son environnement - pour peu qu'on le mette au pouvoir. On recherche désormais un sujet actif dans la ville, et non plus en positon autodéfensive, retranché dans un habit-scaphandre ou dans une bulle retraite. Haus-Rucker-Co appelle "transformateur d'environnement" ses différents masques, visières et casques, désigne la tête (Flyhead), l'esprit (Mind Expander), le coeur (Gelbes Herz), véritablement la peau (Electric Skin, Connexion Skin). Le corps n'est pas tant porteur et transporteur de technologie que le récepteur-détenteur de sensations. Mind Expander 1 relève pour Haus-Rucker-Co d'une "PSY-ARC" : une architecture supposée agir sur le psychisme de l'individu qui y pénètre. C'est un "dispositif technique pour l'expansion de l'individualité croissante".

Haus-Rucker-Co, Mind Expander 1

Haus-Rucker-Co : Gelbes Herz / pulsierender Raum 

Haus-Rucker-Co, Mind Expander 2, 1969




Haus-Rucker-Co, Mind Expander 2, 1969

Idéologie critiquable

Dominique Rouillard, admiratrice de ces courants d'architecture, nous rend compte des plus mauvaises critiques qu'ils leurs sont accordés :

Cet abandon d'une préoccupation quelconque pour l'extérieur et la forme de la ville, au profit d'un projet centré sur l'intérieur et sur l'individu en quête de stimuli, sera justement perçu comme suicide et désespoir par les conservateurs du dogme moderniste, ou tout simplement de l'architecture. « Bruno Zevi [architecte et critique] feint d'envisager l'«architecture Pop » comme la seule alternative à la tradition moderne : un « suicide lucide et courageux » (1967). mais sa description négative du phénomène - « le rejet de tout modèle culturel, de tout ordre, ouvert ou fermé, le retour au chaos originel, à la trivialité, à l'artifice »- indique que cette alternative n'est donnée que pour l'opposer au « pluralisme », qui lui semble plus détestable encore. C'est pa la métaphore d'une dépendance physique qu'il condamne l'une et l'autre voie : « Ceux qui ont décidé d'abandonner le mouvement moderne ont le choix entre Versailles et Las Vegas, la sclérose ou la drogue ».

D'autres critiques feront également un très juste parallèle entre ces contre-utopies et le fabuleux Monde de Disney, un monde d'illusions éphémères où l'esprit est soigneusement sinon contrôlé mais bien dirigé par d'autres procédés. Ces manifestes provocateurs peuvent séduire par leur radicalité et la justesse de leurs propos qui outrepassent généreusement les trop strictes limites qui étaient assignées à l'architecture urbaine. Des propos qui seront, à l'époque, sévèrement critiqués par les intellectuels de la Nouvelle Gauche qui les considéraient comme de futiles et inutiles réflexions émanant de fils et de filles de bonne famille bourgeoise, n'ayant guère d'affinités et de relation avec les classes populaires oppressées. Des propos et un champ de recherche qui ne s'inscrivaient pas ou peu dans la lutte contre le capitalisme.

Le critique italien Manfredo Tafuri analysera cette tendance auto-destructrice, et au-delà la crise de l'architecture, avec la plus grande intelligence, condamnant tout à la fois les utopies architecturales et les contre-utopies : Il se produit alors quelque chose d'apparemment inexplicable. Les idéologues de la forme semblent renoncer à s'inscrire dans le réel, pour se replier sur le second pôle de la dialectique ordre/chaos proposée par la culture bourgeoise. Sans abandonner « l'utopie du projet », ils cherchent une compensation contre les processus concrets qui ont provoqué le dépassement de l'idéologie, dans la récupération du chaos et dans la sublimation du désordre. Ils se livrent à la contemplation de cette angoisse. Parvenus indéniablement dans une impasse qu'ils ne peuvent nier, les idéologues de l'architecture renoncent à jouer un rôle dynamique dans la ville et dans les structures de production ; ils se retranchent alors derrière le masque d'une autonomie disciplinaire retrouvée, ou se réfugient dans des comportements névrotiques d'auto-destruction. La ville est donc considérée comme une superstructure, et l'art est désormais chargé d'en donner une image superstructurelle. Le Pop Art, l'Op Art, les analyses sur l'Imageability urbaine, l'esthétique prospective, concourent au même objectif : masquer les contradictions de la ville contemporaine par leur résolution dans des images polyvalentes, par l'exaltation figurative d'une complexité formelle qui, si on veut bien l'interpréter correctement, n'est rien autre que l'éclatement des dissidences irréductibles, incontrôlables par un plan capitaliste avancé.

La plupart des architectes du mouvement radical disparaîtront de la scène de l'establishment, qu'ils avaient conquise -publication mondiale, conférences, expositions dans les musées et les grandes manifestations culturelles [biennale de Venise par exemple], etc.- très rapidement, peu avant ou conséquence de la crise économique de 1973, de l'ultime fin des trente glorieuses de prospérité économique

Hans Hollein : commercialisation post avant-garde, 1974

Anesthésiant anti-révolutionnaire

Paradoxalement, les effets des psychotropes intéresseront au plus haut point les services de sécurité de la principale nation touchée par le phénomène : les États-Unis qui décident de réprimer sévèrement l'usage des drogues par l'instauration d'une réglementation internationale. La convention unique sur les stupéfiants de 1961 est adoptée puis complétée par la Convention sur les substances psychotropes de 1971.

Mais, parallèlement à la mise en place d'un appareil judiciaire international répressif contre le trafic illicite, contre les consommateurs de stupéfiants et de substances psychotropes, les campus universitaires, foyers de la rébellion, conservaient la plus grande liberté pour leur approvisionnement en stupéfiants. Les effets anesthésiants n'avaient guère échappés à la perspicacité du FBI et de la CIA. Une des préoccupations et activités du Black Panthers Party sera de combattre ce fléau, arme utilisée par les autorités, en menant une véritable guerre dans les ghettos contre les dealers d'héroïne. De même en Italie, la Mafia, étrangement, n'eut aucune difficulté à littéralement inonder le pays de drogues dures, faisant des ravages au sein des milieux contestataires, étudiant et ouvrier. Le prix formidablement bon marché d'un gramme de cocaïne, par exemple, incitait à la consommation alors que l'approvisionnement et le commerce en drogues douces [Cannabis] n'étaient plus assuré intentionnellement.

Brochure du Black Panthers Party


Record mondial


Paola Antonelli, reprenant les termes de Hans Hollein assure que la pharmacopée peut délivrer la promesse de soigner et les maux de l’homme et ceux de l’architecture : « Actuellement on peut soigner l’agoraphobie et la claustrophobie ; peut-être demain nous pourrons aussi résoudre les autres problèmes de l’architecture avec l’aide des médecins, des chimistes, des psychologues. » [ Existspace-existenzmaximum, in Big, n° 24, New York, 1998.] Elle résulte d’une Existenzmaximum, cet espace immatériel qui «part d’un petit dispositif spatial, extraordinairement pratique, où les limites physiques sont plus protectrices qu’oppressives – ce qui laisse les sens et l’esprit vagabonder.» La réduction faite modifie les conditions de l’empathie où la psychologie et le psychique prennent autant d’importance que la fonction physique, trait accentué peut-être par l’inévitable association entre la Pill Architecture et les modifications de conscience que provoque la prise de drogue.

Déclaration qui nous rappelle que la France, par exemple, détient le record mondial de la consommation de médicaments psychotropes (antidépresseurs, hypnotiques, anxiolytiques) ; et compte aujourd'hui officiellement un peu moins de 9 millions de consommateurs occasionnels d'antidépresseurs et 4 millions de consommateurs réguliers. Un chiffre extraordinaire, sans compter celui inconnu des consommateurs réguliers d'alcool et de stupéfiants. La France, mais aussi la Belgique, autre pays grand consommateur, seraient ainsi dépréssive ? [6] « La médecine n'a plus pour seul objectif de vous guérir mais de vous faire vivre le mieux possible le plus longtemps possible avec votre pathologie », analyse Claude Le Pen, économiste et conseiller auprès des syndicats de laboratoires pharmaceutiques.

Ainsi, les contre-utopies de Hollein et du collectif Haus-Rucker-Co s'avèrent être prodigieusement prophétiques et il est possible de craindre en effet que le médecin et les psychotropes ne deviennent alors des tuteurs, qui lissent entièrement la vie d'une partie de la population. Le psychotrope sera-t-il le régulateur social de demain ?


Individualisme Urbain

 Mechanix Illustrated,  juin 1957
Haus-Rucker-Co 1971

L'éditorial de la revue Les annales de la Recherche Urbaine d'octobre 2007 nous renseigne sur l'individualisme et la production de l'urbain : L’individualisme peut être défini soit comme un ensemble de représentations et de pratiques sociales qui caractérisent et affectent la vie urbaine, soit comme un ensemble de valeurs liées à la démocratie libérale. Aujourd’hui on observe une tension culturelle et idéologique forte entre, d’une part, une tendance générale dans le monde occidental qui associe démocratisation et individualisme, qui lie espoir d’émancipation, revendication d’autonomie, reconnaissance de la responsabilité et de la capacité d’expertise des individus et d’autre part, un modèle de solidarité et de justice sociale qui perçoit dans la montée de l’individualisme un ferment de désagrégation sociale et une attaque contre le projet d’égalité. Parallèlement, la vie dans les métropoles occidentales accompagne le processus d’individuation auquel sont soumis les urbains. Les individus sont selon la formule de Marcel Gauchet «désenglobés» c’est-à-dire que l’appartenance à des collectifs identificateurs est devenue moins prégnante et plus éphémère. De fait, la désynchronisation des rythmes de vie et de travail, la modification des structures familiales et la multiplication des ménages composés d’une seule personne par exemple constituent des facteurs qui infléchissent les attentes en matière de services urbains aussi bien que les programmes immobiliers. De même, l’économie post-industrielle fondée principalement sur l’information et la communication, corrélée au mode de vie métropolitain, impose un système culturel où règne la pluralité des références, la relativité des valeurs, ce qui accentue l’impératif démocratique. Ce dernier, comme l’avait énoncé Tocqueville, nécessite que chacun construise de manière individuelle son identité et son rapport aux autres et au monde. Dans la sociologie contemporaine le débat est ouvert entre ceux qui diagnostiquent l’hypermodernité urbaine comme le foyer de l’individualisme solipsiste et consumériste, voire de la généralisation de la solitude, et ceux qui perçoivent le monde contemporain comme le règne d’un individualisme tempéré par la multiplication des activités relationnelles et associatives et par le remplacement de liens forts mais peu nombreux par des liens plus ténus mais foisonnants. Pour ces derniers, l’individualisme est plus émancipation que déréliction. Par ailleurs les principes politiques qui nous gouvernent sont assis sur la liberté individuelle (refus du communautarisme) et entrent en tension avec les idéaux de solidarité et de cohésion sociales, si bien que les politiques publiques oscillent entre la valorisation d’un côté du libre arbitre de l’individu et de l’autorégulation de la société (logiques de marché, démocratie participative, partenariat,...) et de l’autre la valorisation de « l’être ensemble », du « faire société » dont une politique d’équipements publics et de mixité sociale serait garante. Dans la tradition politique française, l’urbain dense a constitué une forme sociale et culturelle valorisée, symbole de cohésion sociale et d’ordre public légitime. De sorte que la forme collective de la communauté regroupée autour de ses institutions (incarnées par l’hôtel de ville, le quartier historique... au centre de la cité) est censée doter d’une figure matérielle et visible l’idéal politique de l’unité sociale. C’est sans doute la raison pour laquelle est régulièrement dénoncée la figure inverse, celle de l’individu activant sa rationalité propre pour choisir la localisation de son logement ou de son activité quand cela aboutit soit à l’étalement urbain, soit au regroupement affinitaire, contrevenant alors à la mixité sociale. Dans l’idéologie actuelle la ville se substitue à la nation comme terrain privilégié d’exercice de la démocratie et l’urbanité devient un corollaire de la citoyenneté. Le discours des politiques urbaines actuelles est articulé autour des notions de « vivre ensemble » et de « faire société ». Or, nombre de propos politiques et urbanistiques affirment que les agglomérations avec leurs banlieues, leurs centres commerciaux périphériques et leurs zones d’habitat pavillonnaires mettent à mal les vertus d’urbanité dont serait porteuse la ville centre. Dans ces discours le périurbain est lié à une montée de l’égoïsme et à l’exacerbation de l’individualisme de masse qui caractérise la fin du XXe siècle. La critique des espaces à faible densité fait même partie des motifs exposés dans la loi Solidarité et renouvellement urbains dont l’idée sous-jacente est de favoriser une ville plus dense que devraient promouvoir les nouveaux outils de planification.

Revue Ciel et Espace, septembre 1987


NOTES


[1] Le terme psychotrope apparaît à la fin du 19e siècle, suite à la démonisation de la morphine en médecine qui après avoir été présentée comme un produit miracle sera responsable de la maladie du soldat (morphinomanie des soldats traités à la morphine sur les champs de bataille).

Le LSD fut découvert en 1938 par Albert Hofmann dans le laboratoire suisse Sandoz et sera déclaré illégal aux États-Unis le 6 octobre 1966. Le LSD était d'abord apparu comme prometteur dans le traitement de certaines maladies psychiatriques au point d'être popularisé comme un traitement miraculeux par les médias à partir du milieu des années 1950. Le psychologue Timothy Leary, le chimiste Augustus Owsley Stanley et le romancier Ken Kesey ont, parmi d'autres, encouragé la consommation de LSD. À cette époque, «l'acide» a notamment été distribué gratuitement lors des acid tests des Merry Pranksters. Le point culminant de l'usage du LSD aux États-Unis fut atteint à l'été 1967, au cours du Summer of Love (« Été de l'amour »).

En 1955, Robert Gordon Wasson et son épouse Valentina Pavlovna, passionnés des champignons dans leurs manifestations culturelles, re-découvrent les espèces hallucinogènes et leur utilisation passée dans un village indien des montagnes de l’Etat d’Oaxaca, au Mexique. En juin 1957, Life Magazine leur consacre 17 pages dans un article intitulé Seeking the Magic Mushroom. Cet article [et le livre] déclenchent un intérêt pour les champignons hallucinogènes qui s’amplifiera sans cesse. Les Hippies mais également la CIA qui s’en sert pour pratiquer des expériences sur « cobayes » involontaires, avec des objectifs militaires. Les milieux « psy » s’y intéressent dans un but thérapeutique. Le très médiatique Timothey Leary annonce : « Les drogues sont la religion du 21e siècle », « Nous considérons le LSD de la même façon qu’un prêtre catholique considère une hostie », « le royaume des cieux est en vous », etc.

La classe des antidépresseurs est apparue à la fin des années 1950, et a vu se développer depuis plusieurs séries de molécules différentes. Les antidépresseurs tricycliques (Laroxyl et Tofranil) ont été les premiers découverts en 1957, suivis en 1962 des inhibiteurs de la monoamine oxydase (Marsilid). En 1987, dans un marché mondial florissant, est apparue une nouvelle classe d'antidépresseurs : les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (ISRS) dont le Prozac fait partie.

[2] Ce qui fait la spécificité de la ville occidentale, note à ce propos Weber, c’est qu’elle est « un lieu de fraternisation communautaire fondée sur le serment ».

[3] : « La cohue des rues a déjà, à elle seule, quelque chose de répugnant, qui révolte la nature humaine. Ces centaines de milliers de personnes, de tout état et de toutes classes, qui se pressent et se bousculent, ne sont-elles pas toutes des hommes possédant les mêmes qualités et capacités et le même intérêt dans la quête du bonheur ? Et ne doivent-elles pas finalement quêter ce bonheur par les mêmes moyens et procédés ? Et pourtant, ces gens se croisent en courant, comme s’ils n’avaient rien de commun, rien à faire ensemble, et pourtant la seule convention entre eux est l’accord tacite selon lequel chacun tient sur le trottoir sa droite, afin que les deux courants de la foule qui se croisent ne se fassent pas mutuellement obstacle ; et pourtant, il ne vient à l’esprit de personne d’accorder à autrui ne fût-ce qu’un regard. Cette indifférence brutale, cet isolement insensible de chaque individu au sein de ses intérêts particuliers, sont d’autant plus répugnants et blessants que le nombre de ces individus confinés dans cet espace réduit est plus grand. Et même si nous savons que cet isolement de l’individu, cet égoïsme borné sont partout le principe fondamental de la société actuelle, ils ne se manifestent nulle part avec une impudence, une assurance si totales qu’ici, précisément, dans la cohue de la grande ville. La désagrégation de l’humanité en monades, dont chacune a un principe de vie particulier et une fin particulière, cette atomisation du monde est poussée ici à l’extrême. Il en résulte aussi que la guerre sociale, la guerre de tous contre tous, est ici ouvertement déclarée. Comme l’ami Stirner [théoricien de l'ultra-individualisme de type anarchiste], les gens ne se considèrent réciproquement que comme des sujets utilisables ; chacun exploite autrui et le résultat c’est que le fort foule aux pieds le faible et que le petit nombre de forts, c’est-à-dire les capitalistes s’approprient tout, alors qu’il ne reste au grand nombre des faibles, aux pauvres, que leur vie et encore tout juste. »

La situation de la classe laborieuse en Angleterre.

[4] In «Une idée neuve en Europe », Potlatch, Bulletin d’information du groupe français de l’Internationale lettriste, N° 7 – 3 août 1954.

[5] un grand nombre de couturiers [Courrèges, Cardin, etc.] et d'artistes vont s'approprier ce thème dont l'artiste brésilienne Lygia Clark qui dans ses séries habit-corps-habit (1967) tente d'éliminer toute séparation entre le corps et ce qui l'entoure. Ces œuvres, qui ne peuvent pas se passer de la structure du corps humain, proposent différentes formes vestimentaires et accessoires prothétiques qui amplifient les sensations reçues et émises.

Lygia Clark : masques sensoriels

[6] La fixation du seuil de pathologie a ici, en effet, quelque chose d'arbitraire, tant il est difficile de distinguer les réactions homéostatiques normales de tristesse des états dépressifs proprement dits. Les études épidémiologiques pour cette pathologie sont par conséquent peu nombreuses, difficiles à mettre en œuvre et souvent discutées. Leurs résultats varient beaucoup d'un pays à l'autre, voire d'une région à l'autre. Selon les études et les critères diagnostiques retenus, la prévalence du taux de dépression en France dans la population générale varie de 5,8 à 11,9 %. Comment expliquer cette spécificité française de la consommation d'antidépresseurs ? Peu d'analyses approfondies mais divers arguments de bon sens sont ici ou là invoqués. On a d'abord parlé des effets délétères du « malaise social », de l'amélioration du diagnostic de dépression. On a évoqué la fragilité des nouvelles générations : autrefois, les gens acceptaient davantage leur condition d'êtres souffrants. Ils mettaient leur fatigue, leur déprime, leur anxiété sur le compte d'une « condition humaine » difficile . Certains pensent que les antidépresseurs ne sont que le relais d'un autre psychostimulant, l'alcool dont la France est grand amateur. Pour d'autres, cette passion française pour les antidépresseurs tiendrait à des éléments culturels comme la pauvreté des régulations collectives, le faible support du groupe, les insuffisances de la médiation sociale. Aujourd'hui, la plupart des spécialistes admettent l'action conjointe de l'ensemble de ces facteurs.

Le sociologue Alain Ehrenberg, dans un ouvrage qui fait maintenant référence (La Fatigue d'être soi. Dépression et société, Odile Jacob, 1998), explique le succès de la dépression comme le résultat d'un déplacement de la culpabilité vers la responsabilité. La consommation d'antidépresseurs apparaît alors comme une réponse à un sentiment d'impuissance, un moyen de parvenir à l'injonction de performance d'une société où tout devient potentiellement réalisable.

D'autres analystes mettent en avant la puissante logique capitaliste des laboratoires pharmaceutiques, dont l'individu serait victime. L'ouvrage récent d'un journaliste, ancien cadre de l'industrie pharmaceutique, révèle les pratiques douteuses d'une industrie aux intérêts contradictoires avec les principes de santé publique : le succès extraordinaire des antidépresseurs reposerait sur des essais cliniques plus ou moins trafiqués, le développement de stratégies marketing, un contrôle quasi absolu de l'information médicale...



SOURCES et EXTRAITS


Les annales de la Recherche Urbaine
l'individualisme et la production de l'urbain
octobre 2007

Dominique Rouillard
Superarchitecture
Editions de La Villette
2004

Site internet de Klaus Pinter :


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